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La corruption sexuelle est un abus de pouvoir – et elle recouvre bien davantage que la simple « sextorsion »

En décembre 2023, la Résolution 10/10 qui privilégie le genre et la corruption a été adoptée à la 10e Conférence des États parties à la CNUCC (Convention des Nations unies contre la corruption). Comme souligné dans un blog précédent, il s’agit de la toute première résolution à mentionner de façon spécifique la corruption sexuelle. Elle ordonne aux États de reconnaître et de sensibiliser l’opinion publique au fait qu’exiger un rapport sexuel ou des actes de nature sexuelle peut être considéré comme une forme spécifique de corruption. Elle ordonne aussi aux États de prendre des mesures supplémentaires et de combler les lacunes législatives afin de prévenir et de réprimer la corruption sexuelle de façon efficace.
Pour avancer dans la mise en place des pratiques, il est nécessaire de se doter d’une compréhension commune et d’une nouvelle définition de ce que recouvre la corruption sexuelle.
Une définition inclusive de la corruption sexuelle
Nous proposons une définition inclusive de la corruption sexuelle, qui reconnaît plusieurs aspects cachés du problème et qui met l’accent sur l’abus de pouvoir :
On parle de corruption sexuelle quand une personne abuse de l’autorité qui lui est conférée pour obtenir une faveur sexuelle en échange d’un service ou d’un avantage en rapport avec l’autorité conférée.
Trois composantes doivent être présentes pour pouvoir qualifier un acte de corruption sexuelle :
- L’abus d’autorité : une personne dotée d’une autorité abuse de son pouvoir pour son intérêt personnel.
- Quid pro quo/La contrepartie : un service ou un avantage en rapport avec l’autorité conférée est conditionné à une faveur.
- Le sexe comme monnaie d’échange : la monnaie d’échange pour la transaction est une faveur sexuelle.
Cet encadrement de la corruption sexuelle est centré sur la responsabilité de la personne détentrice d’une autorité qui lui a été conférée pour exécuter les fonctions qui y sont associées de façon juste et équitable. Notre définition élargit le champ de la corruption sexuelle pour y inclure toutes les formes d’abus de pouvoir en échange d’une faveur sexuelle.
Tout acte peut être considéré comme de la corruption sexuelle, peu importe que le service soit un avantage dû ou non, qu’il s’agisse d’extorsion ou de corruption, et peu importe qui a amorcé l’échange.
Cependant, même s’il est d’une importance vitale de reconnaître la corruption sexuelle, en réalité il n’est pas toujours facile de le faire. Et même quand il est reconnu, l’abus de pouvoir – inhérent à ce type de corruption – relève d’une dynamique centrale qui passe souvent inaperçue.
En 2019, par exemple, un agent du service client a été licencié du Service public de l’emploi suédois pour avoir offert un stage à une demandeuse d’emploi à condition qu’elle ait un rapport sexuel avec lui. À la suite de ce renvoi, son syndicat a poursuivi son ancien employeur pour licenciement abusif. Au tribunal du travail, il a prétendu qu’il avait seulement cherché à avoir une relation amicale avec la demandeuse d’emploi.
Le tribunal a jugé que l’agent avait harcelé sexuellement la demandeuse d’emploi et enfreint les règles de son ancien employeur, et par conséquent qu’il n’avait pas été licencié abusivement. En enquêtant sur la relation sexuelle impliquée, le tribunal a examiné minutieusement les actions de la demandeuse d’emploi pour déterminer si elle avait consenti ou non aux avances sexuelles.
L’élément qui a disparu des procédures est que l’agent a abusé du pouvoir qui lui était conféré par son statut. Il a conditionné un service – un stage –, dont la disponibilité lui était acquise en raison de son poste, à une faveur sexuelle.
Cela – l’abus du pouvoir conféré par un statut pour son intérêt personnel – est de la corruption. Et elle comporte plusieurs aspects qui alimentent notre définition de la corruption spécifiquement sexuelle.
La corruption sexuelle inclut à la fois l’extorsion et la corruption
Le terme « sextorsion » a souvent été utilisé pour décrire le phénomène complet du rapport sexuel et de l’abus d’autorité (voir l’encadré à fond bleu de l’Illustration 1), mais parce qu’extorquer explicitement un rapport sexuel est seulement l’une des formes que peut prendre la corruption, nous préférons utiliser le terme « corruption sexuelle » dans notre définition. Par exemple, si un enseignant retire à un étudiant quelque chose qui lui appartient de droit (comme une note ou un diplôme) à moins que l’étudiant accepte un rapport sexuel, il s’agit d’extorsion sexuelle (« sextorsion »). Ou si un enseignant offre un avantage indu (comme une meilleure note) en échange d’un rapport sexuel, il s’agit de corruption sexuelle. Les deux cas sont des formes de corruption sexuelle : l’enseignant abuse de l’autorité qui lui est conférée pour obtenir un avantage personnel, sous la forme de faveurs sexuelles.
Illustration 1. Abus d’autorité dans la corruption sexuelle

Crédit: Adapté de Bjarnegård et al., 2024. Tous droits réservés.
La corruption sexuelle peut être implicite et institutionnalisée
Parfois, il arrive qu’un acte sexuel soit offert en échange d’un service parce qu’il est attendu ou implicite. La rétribution sexuelle peut être institutionnalisée au point qu’elle n’a pas besoin d’être explicitement demandée. Cela ne change rien au fait que conditionner un service à une faveur sexuelle constitue un abus de pouvoir. La corruption sexuelle inclut tous les cas d’abus de pouvoir en échange d’un rapport sexuel, peu importe qui a pris l’initiative et peu importe si le rapport sexuel a été explicitement demandé ou non.
Le rapport sexuel comme monnaie d’échange dans les transactions corrompues
La corruption sexuelle est, en surface, identique aux autres formes de corruption. Si un contrôleur des douanes exige un rapport sexuel pour laisser quelqu’un franchir une frontière, le « pot-de-vin » fonctionne de la même façon, qu’il soit sous forme d’argent ou de faveur sexuelle.
En matière de corruption sexuelle, le corps du demandeur de service est le pot-de-vin : le pot-de-vin (le rapport sexuel) est inséparable de la personne qui le paye.
Mais si nous creusons un peu, nous constatons que quand le rapport sexuel est la monnaie d’échange du pot-de-vin, il s’agit alors d’une forme très différente de corruption. En matière de corruption monétaire (scénario a de l’Illustration 2), la monnaie d’échange du pot-de-vin est séparée de la personne qui paye le pot-de-vin.En matière de corruption sexuelle (scénario b), le corps du demandeur de service est le pot-de-vin : le pot-de-vin (le rapport sexuel) est inséparable de la personne qui le paye.
Illustration 2. Les échanges dans la corruption monétaire et la corruption sexuelle

Crédit : Adapted from Bjarnegård et al., 2024. Tous droits réservés.
Cela entraîne bon nombre de conséquences. Premièrement, la corruption sexuelle viole l’intégrité corporelle de la personne demandeuse de service. Elle nuit physiquement et psychologiquement, comme les autres formes de violence sexuelle. Deuxièmement, l’échange ne peut pas être interprété comme consensuel.En matière de corruption sexuelle, l’acte sexuel est conditionné à l’octroi d’un service ou d’un avantage. Un rapport sexuel conditionné n’est pas un rapport sexuel consensuel.
Obligation de rendre des comptes et responsabilité en cas d’abus de pouvoir pour obtenir une faveur sexuelle
Une fois que nous avons reconnu que le rapport sexuel peut être une monnaie d’échange dans des transactions corrompues, il nous faut aussi nous concentrer sur l’obligation de rendre des comptes et sur la responsabilité de la personne qui abuse de sa position d’autorité. La législation qui reconnaît la corruption sexuelle en tant que forme spécifique de la corruption est encore rare, mais il existe quelques exceptions, comme le Tanzania’s 2007 Prevention and Combating of Corruption Act (PCCA). Le paragraphe 15 sur la corruption monétaire tient les deux parties pour responsables, alors que le paragraphe 25 sur la corruption sexuelle ne tient pour responsable que la personne abusant de sa position d’autorité et non la personne demandeuse d’un service.
Centrer l’attention sur l’abus de pouvoir
Pour comprendre ce qu’est la corruption sexuelle, nous devons commencer par – et fermement nous en tenir à – l’abus de pouvoir. Des expressions courantes telles qu’« un rapport sexuel contre une bonne note » ou encore « un rapport sexuel contre un travail » impliquent que le rapport sexuel est le point de départ de l’échange.Si nous retournons l’expression et, à la place, parlons de « une bonne note contre un rapport sexuel », « un travail contre un rapport sexuel », ou encore – comme dans l'exemple précédent – « un stage contre un rapport sexuel », les choses paraissent bien différentes. Le point de départ de l’échange devient la note, ou le travail, qui est entre les mains de la personne détentrice de l’autorité en vertu de sa fonction. Cela déplace le centre d’attention sur la personne abusant de son autorité, pouvoir, et fonction en distribuant des services de façon contraire à l’éthique, arbitraire et non-professionnelle.
Toutes les formes d’abus de pouvoir en échange d’une faveur sexuelle constituent la corruption sexuelle. Si nous centrons notre attention sur l’abus de pouvoir, nous nous extirpons de ces stéréotypes éculés qui sont focalisés sur les actions de la victime (comme « les femmes couchent pour se hisser au sommet »). Il convient plutôt d’attribuer la responsabilité comme il se doit : à la personne abusant de son pouvoir.
Références
Bjarnegård, E., Calvo, D., Eldén, Å., Jonsson, S., Lundgren, S. 2024. Sex instead of money: Conceptualizing sexual corruption. Governance, 1–19.
The Swedish Labour Court. 2021. Judgment No. 10/21, Case No. A 37/20, 2021-03-10. The Swedish Labour Court, Stockholm, Sweden.
Les auteurs forment un centre d'informations sur la corruption sexuelle à l'université d'Uppsala.
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