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Qui détient quoi ? Trois leçons à tirer pour la transparence des bénéficiaires effectifs

Les auteurs de ce blog travaillent avec un groupe d'organisations de la société civile pour proposer des formations sur la transparence des bénéficiaires effectifs. La dernière session du projet CSABOT en France (juin 2022) a permis de mettre en avant trois leçons sur l'importance de connaître et d’utiliser les informations relatives aux bénéficiaires effectifs.
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3 August 2022
Un homme rampant dans une petite ouverture dans un mur couvert de croquis d'entreprise.
Grâce à notre travail sur les bénéficiaires effectifs, nous avons appris que la transparence est un moyen essentiel de demander des comptes, que la législation est souvent insuffisante et que la coopération de la société civile peut permettre une meilleure utilisation des données existantes. Photo:
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Les richesses cachées, les actifs anonymes et les fonds illégitimes posent des problèmes de transparence en France comme ailleurs. Le premier ministre tchèque a, par exemple, dissimulé qu’il était le propriétaire d’un château en France et ne l’a pas déclaré dans son pays d'origine. Des oligarques russes ont acheté des propriétés le long des côtes françaises. Aujourd'hui, les sanctions prises contre eux font la une des journaux et d’importantes fuites de données révèlent régulièrement les richesses cachées, ce qui montre la nécessité de connaître les bénéficiaires effectifs.

Qu'est-ce que le bénéficiaire effectif (BE)?

Le "bénéficiaire effectif" (BE) est la "personne physique", l'être humain en chair et en os, qui possède ou contrôle une entité juridique (par exemple une société, une fondation ou un trust), que ce soit directement ou indirectement. Savoir qui se cache derrière une entité juridique (ou plusieurs d'entre elles) nous indique qui, en fin de compte, profite de contrats de plusieurs millions de dollars ou utilise un superyacht

Jusqu'à récemment, les entreprises, les criminels, les personnes fortunées et les fonctionnaires corrompus pouvaient facilement rester anonymes, dissimulant leur identité et leurs pratiques illicites.

Avec l’adoption de législations à travers le monde exigant la transparence des bénéficiaires effectifs (BE) ainsi que la mise en place de registres publics, il est désormais plus difficile de rester dans l'ombre.

Toutefois, avec l’adoption de législations à travers le monde exigant la transparence des bénéficiaires effectifs (BE) ainsi que la mise en place de registres publics, il est désormais plus difficile de rester dans l'ombre, même si les réglementations ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux.

Trois leçons à retenir concernant les bénéficiaires effectifs

L'important maintenant est de comprendre et d'utiliser les nouvelles informations contenues dans ces registres. À cette fin, dans le cadre du projet CSABOT,40a0559eb50d nous (les auteurs) avons animé une session de formation de deux jours en France les 29 et 30 juin 2022. Les discussions ont permis de mettre en évidence trois principaux points pertinents pour quiconque s'intéresse à la transparence des BE dans le monde.

Premier point : la transparence des bénéficiaires effectifs est plus qu'un outil de lutte contre les flux financiers illicites

La transparence des BE était initialement considérée comme un outil permettant de prévenir et d’empêcher les flux financiers illicites, notamment la corruption, le blanchiment d'argent et l'évasion fiscale. Mais son importance va bien au-delà. La transparence des BE permet de tenir les entreprises et les fonctionnaires responsables de leurs actions, par exemple en mettant en évidence les liens entre les violations des droits de l'homme ou de l'environnement et ceux qui en bénéficient. La divulgation du BE peut également contribuer à mettre en évidence les risques de biais dans la prise de décision et les conflits d'intérêts, comme ceux qui sont apparus pendant la crise sanitaire du covid-19.

La transparence des BE permet de tenir les entreprises et les fonctionnaires responsables de leurs actions.

Mais il ne suffit pas de savoir qui se cache derrière une entité juridique pour déterminer s'il y a eu corruption ou violation des droits de l'homme. La transparence des BE n'est qu'un élément. Il est essentiel d'examiner également la structuration des entreprises, la manière dont les entités juridiques sont liées entre elles et où elles sont enregistrées, l'identité des propriétaires légaux et le rôle des différents pays (par exemple, des voitures et des maisons de luxe peuvent être achetées en France avec le produit de la corruption qui a eu lieu ailleurs, comme le montre l'affaire des biens mal acquis).

Deuxième point : les lois françaises sur les bénéficiaires effectifs répondent aux normes de l'UE... mais ces normes sont insuffisantes

L'Union européenne dispose d'un cadre juridique pour lutter contre le blanchiment de capitaux (amendé en 2018, des révisions sont actuellement en cours). Depuis 2015, il comprend des dispositions sur la transparence des BE et la mise en place de registres des sociétés (accessibles au public) et des trusts (accessibles uniquement aux personnes ayant un intérêt légitime).

La transposition française de ce cadre comprend des dispositions relatives au BE des sociétés dans le code monétaire et financier et dans le manuel de procédures fiscales pour les fiducies. Un registre central, gratuit et public des BE pour les sociétés a été créé, permettant à toute personne d'accéder au nom, au mois et à l'année de naissance, à la nationalité et au pays de résidence du BE, ainsi qu'à la nature et à l'étendue des intérêts détenus par le BE.

Bien que le droit français soit parfaitement conforme au cadre européen, il présente des lacunes. Certaines découlent du cadre lui-même tandis que d’autres sont liées à la mise en oeuvre.

Bien que le droit français soit parfaitement conforme au cadre européen, il présente des lacunes. Certaines découlent du cadre lui-même tandis que d’autres sont liées à la mise en oeuvre :

  • En vertu du droit européen (et du droit français), le BE d'une société est défini comme la personne physique qui contrôle directement ou indirectement plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société. Cela signifie que quatre personnes détenant chacune exactement 25 % de la société ne sont pas tenues de divulguer leur identité. La France aurait pu adopter une définition plus stricte (avec les directives de l'UE, les États membres peuvent décider d'aller au-delà de ce qui est requis) pour rendre la non-divulgation plus difficile (par exemple, en ne fixant aucun seuil).
  • Un quart des sociétés enregistrées en France n’ont pas divulgué leur BE.
  • Les données sur les BE, telles que le pays de résidence ou l'étendue de l'intérêt détenu, sont souvent manquantes.
  • Aucune information publiquement disponible ne permet de savoir si les greffiers du tribunal de commerce (l'autorité en charge des contrôles des BE) ont initié des contrôles ou sanctionné des sociétés pour non-respect des obligations de déclaration des BE. Les amendes infligées en cas d'infraction - 37 000 euros pour les sociétés et 7 500 euros pour les particuliers - ne sont guère dissuasives et pourraient potentiellement favoriser le non-respect délibéré des obligations par les plus riches.
  • Les entreprises étrangères opérant en France ne sont pas tenues de divulguer leur BE alors même que de nombreuses entreprises étrangères achètent des biens immobiliers de luxe.
  • Il y a un manque d'informations sur les structures et les niveaux de propriété des entreprises.

Troisième point : nous devons tirer le meilleur parti des données des BE en utilisant les réseaux et les outils à notre disposition

Face à des vérifications de données superficielles ou inexistantes dans les registres publics du monde entier, les acteurs de la société civile ont créé des réseaux et des outils pour tirer le meilleur parti des données disponibles afin d'améliorer la transparence et la responsabilité publique.

Face à des vérifications de données superficielles ou inexistantes dans les registres publics du monde entier, les acteurs de la société civile ont créé des réseaux et des outils pour tirer le meilleur parti des données disponibles.

Ces acteurs enquêtent pour savoir si les données sur les BE sont exactes et recherchent des indices d'activités potentiellement illégales. Par exemple, Global Witness a réalisé une analyse détaillée du registre des BE anglais et a montré l'omniprésence de données invraisemblables, de sociétés fictives, d'hommes de paille et de pratiques illégales telles que les structures de propriété circulaire. Tax Justice Network a également développé un guide pour les autorités publiques sur la meilleure façon d'organiser le processus de vérification des données.

En outre, la société civile a créé des outils qui aident les journalistes, les universitaires et les citoyens intéressés. Par exemple, le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) dispose d'une vaste base de données appelée Offshore Leaks. D'autres comme le Organised Crime Corruption Reporting Project (OCCRP) développent des bases de données complexes mettant en relation les bases de données existantes, ce qui permet d'obtenir des résultats de recherche remarquables (OCCRP Aleph). Le Tax Justice Network publie un indice comprenant des indicateurs sur la transparence (Financial Secrecy Index) ainsi qu’un indice s’appuyant sur les données fiscales (Corporate Tax Haven Index). En France, nous voyons des initiatives inspirantes avec des entreprises qui rendent accessibles un certain nombre de données publiques en format ouvert (Koumoul) et des plateformes web fournissant gratuitement de la documentation commerciale (Pappers).

Des formations sur les bénéficiaires effectifs devraient être organisées dans le monde entier

La formation de deux jours a permis des analyses enrichissantes et des critiques constructives sur le registre français des BE. La société civile a également pu coopérer et échanger sur les outils qui existent. En outre, la formation a conduit à renforcer les réseaux en faveur de la transparence. Enfin, elle a montré combien il est important de partager les connaissances sur les BE et d'utiliser les données disponibles.

Nous espérons que d'autres formations comme celle-ci seront organisées au sein de l'UE et au-delà afin que davantage de personnes puissent se joindre à la lutte pour la transparence et la responsabilité.

  1. Soutenu par la Commission européenne, le CSABOT project (Civil Society Advancing Beneficial Ownership Transparency) organise une série de sessions de formation de deux jours dans sept pays de l’UE, en s'associant à Transparency International, Tax Justice Network, Transcrime et le Government Transparency Institute. Ces sessions réunissent des experts, des organisations de la société civile, des journalistes, des universitaires, des juristes et des représentants du secteur privé pour discuter du cadre juridique national, de la manière d'utiliser les informations sur les bénéficiaires effectifs et des défis et opportunités en matière de transparence des bénéficiaires effectifs dans leur pays.

About the authors

Sophie Lemaître

Sophie Lemaître is a lawyer by training with extensive experience in governance, anti-corruption issues, natural resources sector, and illicit financial flows. She has worked for various organisations and NGOs at the national and international level, including CIRAD, the Food and Agriculture Organisation of the United Nations, and Sherpa. Between 2019 and 2023, she was a Senior Adviser at the U4 Anti-Corruption Resource Centre.

She holds a PhD degree in law from the University of Rennes 1 in France, on corruption, tax evasion/avoidance, and money laundering within the extractive industries, a Master degree in international business law from the University of Toulouse, France, and an LL.M. on international and European environmental law from University College London.

Lucas Millán

Lucas Millán is senior researcher for the Tax Justice Network's Financial Secrecy Index and Corporate Tax Haven Index. He researches technical aspects of corporate tax evasion.

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